Aujourd’hui, le réseau social TikTok et sa culture sont devenus récurrents dans le paysage culturel du web. Mais pour encore combien de temps avant que les annonceurs ne gâchent la fête ?
Comptez sur la tech pour vous faire sentir vieux très vite. Le secteur évolue incroyablement vite, et les tendances qu’il réussit à lancer changent à une vitesse impressionnante. Quand un nouveau réseau social débarque et qu’on en a déjà connu dix autres, il est naturel de rester sur ses habitudes. Et aussi, soyons honnêtes, à regarder un peu de loin ces nouvelles plateformes en se disant « c’est un truc de jeune, laissons-les s’amuser entre eux ». C’est probablement ce que vous vous êtes dit en voyant la croissance spectaculaire de TikTok.
Souvenez-vous de Musical.ly
Ce n’est pas étonnant : les origines de TikTok sont extrêmement spécifiques. On oublie aujourd’hui qu’à la base, le service s’appelait Musical.ly et que tout son concept était de se filmer en train de faire semblant de chanter une musique populaire. Et pour beaucoup, cette mise en scène de soi purement visuelle s’apparentait à un délire de beaux et belles gosses. Quand on a passé sa vie avec un bon physique de blanc nerd à lunettes comme on en fait trop, il est facile de n’y voir qu’une expression narcissique.
Et puis TikTok a racheté Musical.ly, tout a été fusionné, et la plateforme devenait massive. La rumeur ambiante voulait que les créateurs étaient plus ou moins libres d’y faire ce qu’ils voulaient désormais. Que le principe fonctionnait un peu comme feu Vine. Et que professionnellement, il fallait aller sur TikTok dès maintenant, avant que tout le monde ne flaire le créneau.
Un réseau social, ça vieillit mal
Mais le truc quand on a la trentaine, c’est qu’on a déjà connu la naissance de tous les réseaux sociaux du monde. Qui de cette génération n’a pas eu de MySpace ? De Skyblog ? Nous avons créé nos comptes Facebook pour être sûr de garder contact avec ses potes de collège, tout ça pour constater à quel point nos tontons gênants pouvaient être racistes. Nous avons créé nos Twitter pour pouvoir gagner l’accès aux dernières actualités sur le jeu vidéo et la tech en une seconde, tout ça pour se retrouver emmêler dans des débats où aucune des deux parties n’a envie d’écouter l’autre. Nous avons créé nos Instagram pour s’amuser avec les filtres polaroïd rares à l’époque, tout ça pour nous prendre un flux de publicités où les soirées de nos potes n’apparaissent même plus. Et oui, nous avons même créé un compte Snapchat uniquement pour recevoir quelques photos osées…
Ce que toutes ces plateformes ont en commun, au bout, est qu’elles font superbement bien passer le temps. Mais ce qu’on oublie de dire, c’est aussi qu’elles avaient une culture bien à elle avant que les annonceurs ne viennent gâcher la fête. Instagram est sûrement le meilleur exemple actuel. Le flux d’actualité, auparavant chronologique, s’est petit à petit transformé en une machine qui nous balance les trois derniers posts jugés algorithmiquement les meilleurs des comptes que nous suivons, avant de nous balancer de la publicité. Pour d’autres comptes, certes, mais qui ont tous quelque chose à nous vendre au bout. L’onglet Notifications est devenu l’onglet Boutique ; adieu l’expérience sociale, le tapis rouge est sorti pour les marques et leur budget marketing.
De génération en génération
Tout ça pour mieux vous parler de la bataille pour l’âme de TikTok. Le réseau social d’origine chinoise est aujourd’hui à l’exact croisement où se sont retrouvés bon nombre de ses compétiteurs. Les vidéastes de la plateforme lui ont donné son identité, l’ont fait grimper à un point de popularité important, et lui ont offert le rôle de porte-étendard d’une nouvelle génération. Et de l’autre côté, les annonceurs ont tous compris qu’ils avaient une carte à jouer sur celle-ci. Les plus modernes et rapides ont déjà commencé à trouver leur audience sur TikTok en surfant les tendances lancées par ses créateurs les plus populaires. Les autres se demandent encore comment le faire, et attendent des réponses de l’équipe TikTok elle-même.
Un réseau social est générationnel. Ce qui ne veut pas dire que les générations qui l’utilisent n’évoluent pas avec le temps. Après tout, pour bon nombre de trentenaires, Facebook était le réseau social de leur adolescence. Aujourd’hui, il est celui des vieux. TikTok a l’avantage d’être vu comme le représentant de la « Génération Z », soit celle née entre 1997 et 2010. Les « zoomers » qui se confrontent aux « boomers », la génération du baby boom née entre 43 et 66. Quand aux « milléniaux », ou « Génération Y », ils sont souvent condamnés à regarder les deux se bouffer entre eux, coincés entre deux feux.
Empathie, humour et musique
Reste que oui, les créateurs TikTok sont jeunes. Des débuts de vingtaine avec de grandes idées. Et si TikTok réussit à être un service de VOD captivant, c’est grâce à leur génie. Connectez-vous et vous trouverez toujours quelqu’un capable de créer des montages terriblement inventifs avec trois fois rien. Et lorsque ce n’est pas le montage, c’est le propos qui met une gigantesque claque. Certains créateurs ont fait leur mission de vie d’inspirer les autres à plus d’empathie, plus de clémence, plus de compréhension, et se baladent en offrant des coupes de cheveux gratuites à qui veut bien partager son histoire. On parsème avec des vidéos de chiens mignonnes et des extraits de spectacle d’une nouvelle génération de comiques innovants et très drôles.
Si TikTok est une fenêtre sur la mentalité de la génération Z, soyez rassurés pour vos enfants et vos petits cousins. Les plus grandes personnalités de ce monde sont bien souvent de toutes les couleurs, de toutes les nationalités, et de tous les horizons. Si on devait leur trouver un point commun, outre cette espèce d’aura optimiste et chaleureuse qui parcourt les publications, c’est l’amour de la musique. Certains en font même leur spécialité, et les rappeurs talentueux pullulent sur la plateforme. En somme, TikTok envoie toujours des bonnes ondes.
Addictif au possible
Mais peut-être est-ce là la poudre aux yeux lancées aux captifs de l’algorithme. TikTok a en effet deux flux. Un « Abonnement » classique, et un autre « Pour toi » qui est composé de vidéos recommandées par la plateforme elle-même, sur la base des vidéos déjà consultées. Et ce dernier semble presque magique tant il tape toujours juste. Une mine d’or que les annonceurs ne peuvent tout simplement pas ignorer.
C’est aussi la manière de naviguer sur l’application qui n’appartient qu’à elle. Il suffit de glisser vers le haut pour retrouver une autre vidéo courte sélectionnée pour nous, qui a toutes les chances de faire rire ou d’attendrir. On ne sait pas ce qui nous attend, on sait seulement qu’il y a une grande probabilité que ça nous plaise. Cette inconnue rend l’expérience terriblement addictive, bien plus que de suivre les classiques hashtags.
Jusqu’à quand ?
Une chose est du moins certaine : TikTok redonne la pêche, quand les autres réseaux sociaux tirent grise mine. Et ça, on le doit aux créateurs dans la vingtaine qui ont su jouer des règles de l’outil et les détourner du même temps pour exprimer une nouvelle voix qu’on ne retrouve vraiment que sur TikTok. Les autres ne font que suivre l’exemple que le service leur donne, ou récupèrent ses meilleures publications.
Mais combien de temps tout cela va vraiment durer ? Nous sommes arrivés au carrefour habituel des réseaux sociaux : celui où il faut payer pour la fête. Et toutes les entreprises par le passé ont choisi de se financer auprès des annonceurs. Les créateurs natifs ne sont jamais ceux qui injectent des sous dans le système, ce qui veut dire que l’ouverture d’esprit et la représentation qu’offre TikTok à de nombreuses communautés sont sur le point de connaître un grand chamboulement.
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Est-ce que ByteDance, la maison-mère de TikTok, suivra l’exemple de ses prédécesseurs ? Ou est-ce qu’elle osera tenter une nouvelle approche, un nouveau modèle économique, pour protéger la culture de son réseau social ? C’est aujourd’hui qu’il faut lutter. Sans quoi, le cycle des réseaux sociaux perdurera : un « nouveau TikTok » prendra bientôt sa place. Puis un autre. Jusqu’à ce que les zoomers d’aujourd’hui deviennent les boomers de demain.