Catherine Simon, directrice du salon Innorobo (24-26 Mai à Paris), revient sur les grandes tendances de la robotique industrielle et de service, à l’aube d’une révolution du quotidien des particuliers et des entreprises.
De récents rapports d’analyse du cabinet McKinsey et bien d’autres nous promettent l’arrivée massive des robots dans les usines, les entreprises de service, nos villes, nos campagnes et nos maisons.
Quelle que soit la ligne éditoriale et la cible des médias, tous parlent de robotique dans presque chaque numéro paru. Mais la réalité de la transformation robotique est différente selon les pays et continents et les innovations ont du mal à prendre une place significative sur le marché.
En sommes-nous au point haut du cycle d’adoption des technologies de Gartner, au point des attentes « exagérées » ? La Robolution, on en parle et on en parle, mais où en est-elle dans les faits ?
La Robotique industrielle
Selon l’IFR, les ventes de robots industriels ont connu une croissance de 29% en 2014 pour atteindre près de 230.000 robots vendus dans le monde.
A elle seule, la Chine représente 25% de ces ventes qui progressent rapidement (+56% par rapport à 2013), tirant tout le marché mondial au passage. Les ventes de robots dans le monde devraient progresser de 15% jusqu’en 2018 (source).
La Chine s’équipe principalement de robots industriels « classiques ».
De leur coté, les USA se sont équipé de plus de 32.000 robots industriels en moyenne chaque année (+8% de croissance par an) depuis 2012.
L’Europe connait une croissance modérée de ses achats en robots industriels, de l’ordre de +4%. Ce sont encore et toujours l’industrie automobile et celle des produits électroniques qui tirent le marché vers la croissance. Quid des autres secteurs d’activité manufacturière ?
Ces chiffres, qui font référence pour l’écosystème robotique mondial, sont considérés comme trop élevés par Roboenomics.
Quels que soient les chiffres et ce qu’on leur fait dire, après 10 ans d’intégration et d’immersion dans l’écosystème robotique mondial et à l’aune de la 6ième édition d’Innorobo, faisons un point sur les 3 grandes tendances en robotique industrielle que nous constatons :
1- L’innovation incrémentale dans l’industrie
Nous en sommes aujourd’hui à l’ère de l’amélioration continue, de l’optimisation.
Les innovations mécatroniques des composants –Moto-réducteurs, contrôleurs, roulements, engrenages, etc.– , des actuateurs et les avancées des logiciels d’interface ou de contrôle, etc. accroissent les performances des robots industriels, en précision, vitesse, robustesse.
L’objectif est clairement le gain de productivité.
2- L’émergence de la Softrobotics
Pour répondre au challenge industriel de production de petites séries et de « personnalisation » de la production, les recherches sont orientées vers la versatilité des robots industriels.
Une des innovations émergentes, qui nous semble la plus intéressante en terme de débouché marché, concerne les actuateurs de préhension. Au croisement de la science des matériaux et de la robotique, la softrobotics est passée en moins de deux ans de la recherche à la phase de commercialisation.
Il s’agit de préhenseurs « universels » qui utilisent les propriétés de matériaux souples qui s’adaptent à la forme de l’objet à saisir par électro-adhésion ou système pneumatique. Plus d’informations ici.
3- La robotique collaborative
Selon Barclays Equity Research, 4.300 robots collaboratifs ont été vendus en 2015 pour un marché estimé à 126 millions de US$. Certes, cela représente une croissance de plus de 70% par rapport à 2013, mais sur des volumes encore peu significatifs (moins de 2% du marché des robots industriels « classiques »).
L’offre en robotique collaborative, apparue il y a 4 ans avec, en pionnier, le robot Baxter de Rethink Robotics (voir ci-dessous) est maintenant diversifiée et techniquement solide.
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Cette innovation de rupture en robotique industrielle peine à pénétrer les marchés pourtant multiples auxquels elle s’adresse. Deux problématiques en sont la cause : d’une part des problèmes de normes de sécurité.
Bien que les normes ISO 10218 et ISO/TS 15066 prévoient les dispositifs de sécurité en cas d’usages coopératifs homme-robot, les intégrateurs doivent mettre en place de nouveaux process de design, intégration, programmation et maintenance ainsi que de nouvelles mesures d’analyse de risques qui intègrent non seulement la versatilité des tâches affectées au robot collaboratif mais aussi l’ensemble des données de l’environnement « ouvert » du robot.
D’autre part, une problématique économique. En effet, ces robots collaboratifs coûtent environ 10 fois moins à l’achat et ce rapport est conservé quant au coût d’installation. Economiquement, le marché du robot collaboratif est bien moins attractif pour l’intégrateur que son marché historique de robots industriels « classiques ».
Espérons que les progrès en interface Homme-Machine (IHM) réalisés principalement en vue d’une adoption forte de robots collaboratifs soient une force suffisante pour tirer le marché vers le haut rapidement, car la robotique collaborative promet en plus de gains de productivité, la baisse de la pénibilité du travail ouvrier sans le remplacer.
La Robotique de service professionnelle
Une chaîne de valeur à structurer autour du modèle « Robot As A service »
Pour rappel, il s’agit de robots de service en B2B (robots non affectés à des tâches de production manufacturière, mais destinés à un marché professionnel). Le marché de la robotique de service professionnelle est estimé à 3,7 milliards de US$ en 2014, une croissance d’environ 3% par rapport à 2013. Là encore, la « Robolution » n’est pas en mode exponentiel !
Pourtant, ces 5 dernières années, l’offre est passée pour nombre de ces robots du prototype à des solutions prêtes à la commercialisation. Certaines plateformes arrivent certes à pénétrer le marché : Les robots « d’extérieur » – véhicules autonomes ou robots d’explorations et robots agricoles représentent 37% du marché en valeur et ont connu une croissance de 25% entre 2013 et 2014.
Cette croissance est boosté par les drônes, notamment dans les applications de défense et le reflet du succès relatif des robots de traite des vaches.
Les robots logistiques, quant à eux, représentent 17% du marché de la robotique de service en valeur et affichent une croissance de + 21% entre 2013 et 2014.
La robotique de service professionnelle est encore loin de transformer l’ensemble des activités de service. Pourtant, la robotique médicale (35% du marché en valeur ; une baisse de 9% entre 2013 et 2014) permet des actes chirurgicaux plus surs, une ré-éducation plus rapide et efficace.
Elle s’inscrit en solution potentielle du problème de vieillissement de la population et offre des perspectives de nouvelles pratiques pour le traitement de maladies jusqu’à présent incurables voire la suppression du mot « handicap » de notre vocabulaire ; Pourtant, le marché de l’« Hospitality » en général est demandeur de solutions pour des gains de productivité et une amélioration du service clients.
Pourtant, la robotique fait ses premiers pas dans les métiers de la distribution avec Pepper (Aldebaran robotics – Groupe Softbank) en ambassadeur des boutiques Nespresso au Japon et de quelques magasins Carrefour en France, Oshbot (US) dans les magasins Lowe et Futurerobot en Corée, dans les centres commerciaux et autres lieux publics.
Ainsi, dans bien des domaines, la demande de solutions technologiques est importante et l’offre commence à être structurée. La problématique du déploiement est, in fine, une question de chaîne de valeur et de business model. Les entreprises de service, contrairement aux industriels, sont peu habituées à acheter des machines qui requièrent des investissements lourds, elles achètent plutôt des prestations de service. Par ailleurs, les robots de service professionnels, à l’instar des robots industriels, requièrent l’intervention d’installateurs/intégrateurs.
Pour que la robotique de service professionnelle délivre sa promesse de transformation « robotique » des entreprises, il faut développer le business model naissant de « Robot As A Service » et créer les entreprises intermédiaires, intégrateurs des robots de service par secteur d’activité (Médical, Hospitality, Nettoyage professionnel, etc.).
La Robotique de service personnelle
La robotique de service personnelle représente un marché de 2,2 milliards de US$, en progression de près de 30% en valeur entre 2013 et 2014.
Deux grandes catégories de robots personnels représentent à eux seuls plus de 99% du marché.
Il s’agit des robots qui réalisent des tâches domestiques –aspirateurs et tondeuses– et les robots éducatifs et de loisirs.
L’année 2015 a été marquée par les levées de fonds très médiatisées de robots sociaux, notamment Jibo de Cynthia Breazeal, du MIT (photo ci-dessus), qui a levé plus de 60 millions de US$ et notre robot social national, Buddy de la société BlueFrog Robotics (ci-contre) qui a réussi à 300% sa campagne de crowdfunding sur Indiegogo en levant ainsi plus de 300.000 €.
Ces robots ne sont pas encore sur le marché, mais font énormément parler d’eux comme les précurseurs de ce que le robot compagnon pourrait être en terme d’interface Homme-machine. Pour autant, leurs fonctionnalités sont limitées.
En parallèle, le cadeau vendu probablement à près d’un million d’exemplaires à Noël (les chiffres sont des estimations non vérifiées) est le drone de loisirs. La domination chinoise, avec notamment DJI sur ce marché est incontestée même si là encore, nous avons notre champion national avec Parrot.
Les entreprises robotiques qui souhaitent se positionner sur le marché grand public cherchent encore la prochaine « Killer-application » : est ce le robot laveur de vitres, le Grillbot qui nettoie votre grille de Barbecue ou l’IoT qui serait augmenté pour devenir IoRT (Internet of robotic Things) ou encore le robot social en 2017….
Je pense que personne ne le sait aujourd’hui.
Alors, la Robolution ?!
En préparation de ce point annuel sur les chiffres de la robotique, j’ai lu et croisé de multiples rapports et articles et tous (ou presque) parlaient de la robotique comme d’une « General Purpose Technology » (GPT).
Si on en croit la définition de Wikipedia, une GPT peut affecter toute une économie, a le potentiel de modifier radicalement la société par le biais de son impact sur les structures économiques et sociales pré-existantes. Les exemples cités en référence sont la machine à vapeur, l’électricité, l’automobile, Internet bien sûr. Seul le débat sur « Robotique et Emploi », notre peur de l’Intelligence Artificielle qui dépasserait l’homme ou pire encore la fin de l’humanité et l’avènement du transhumanisme viennent corroborer la robotique en tant que GPT, une vision destructrice plutôt que transformatrice.
Et pourtant depuis plus de 5 ans, nous clamons à Innorobo que les technologies robotiques sont des réponses potentielles à nos enjeux sociétaux majeurs.
L’agriculture de précision préserve notre planète, les technologies robotiques appliquées au secteur de l’énergie et du tri et traitement des déchets peuvent transformer notre consommation de ressources naturelles en l’optimisant et la distribuant selon nos besoins, la robotique médicale et de santé peut supprimer le mot handicap de notre vocabulaire et redonner de l’autonomie à nos personnes âgées, et bien d’autres exemples encore.
Dans l’industrie, faut-il produire plus à moindre coût ou rendre à l’humain la notion de métier et de savoir-faire tout en supprimant la pénibilité du travail ?
« La technologie est un moyen, elle n’est pas là pour donner du sens. »
Les technologies robotiques vont continuer d’avancer avec, si on en croit la loi de Moore, un « point d’inflexion » dans les 10 ou 20 ans qui viennent, suivi de progrès rapides.
L’écosystème robotique global réuni à Innorobo –avec des représentants de la science, l’éducation, l’industrie, les services, les finances, l’économie, la politique et le grand public– a le devoir de définir une autre vision prospective des technologies robotiques, avec comme objectif une société démocratique dans laquelle ces General Purpose Technologies servent à améliorer les modes de vie de tous les citoyens tout en préservant notre planète pour une humanité durable.