Et si l’on pouvait produire de l’énergie à l’infini, en imitant les réactions chimiques du Soleil sur Terre ? Telle est la promesse de la fusion nucléaire.
Cela fait plusieurs décennies que les chercheurs se penchent sur les différents procédés chimiques qui nous permettraient de produire une énergie « propre » en très grande quantité. Et un premier pas a été franchi en 1938, grâce à la découverte de la fission nucléaire sur laquelle se basent nos centrales actuelles.
Mais ce procédé est loin d’être parfait, d’autant plus que les derniers accidents radioactifs en date (Tchernobyl en 1986 et Fukushima en 2011) ont suscité l’inquiétude d’une grande partie de la population vis-à-vis des risques encourus.
La véritable révolution énergétique pourrait donc se trouver dans la fusion nucléaire, un processus très complexe que l’on commence à maîtriser depuis peu. Alors qu’en est-il vraiment de l’avancée scientifique à ce sujet ? Et surtout, pourquoi la fusion nucléaire captive-t-elle autant l’attention des chercheurs du monde entier ? Décryptage.
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Sommes-nous proches de maîtriser la fusion nucléaire ?
13 décembre 2022 : une découverte historique qui change tout
La première grande étape vers la maîtrise de la fusion nucléaire a débuté il y a maintenant neuf mois. Elle est l’œuvre d’une équipe de chercheurs américains qui est parvenue à atteindre ce que l’on appelle le « seuil d’ignition », c’est-à-dire le point où le réacteur produit davantage d’énergie qu’il n’en consomme.
Pour ce faire, ils ont élaboré une sorte de « soleil artificiel » grâce à des rayons laser surpuissants braqués sur deux atomes d’hydrogène pour les associer, ce qui a permis d’émettre une énergie de 2 mégajoules pour en produire 3,15. Cette rentabilité énergétique a notamment été rendue possible grâce à la chaleur extrême générée par la fusion, qui aurait atteint 3 millions de degrés Celsius.
Un premier succès qu’il faut nuancer
Cependant, ne crions pas victoire trop tôt, car il reste encore bon nombre d’obstacles à surmonter pour rendre cette technologie opérationnelle. En premier lieu, il faut savoir que le seuil d’ignition n’a été atteint que sur un diamant d’hydrogène dans un réacteur aux dimensions limitées. Et cette structure demeure insuffisante pour produire de l’énergie à une échelle industrielle.
Le CEA (Commissariat français à l’Énergie Atomique) affirme d’ailleurs que « le rendement n’excéderait pas 1% à l’échelle de toute la chaîne de fusion nucléaire ». Bien loin des 150% qui rendaient optimistes les chercheurs américains en décembre dernier, et pour cause : des lasers de plus grande envergure nécessiteraient aussi bien plus d’électricité pour fonctionner que les prototypes actuels.
Par ailleurs, le principal problème vient du fait que la fusion ne dure qu’une fraction de milliseconde (du moins, pour le moment). Il est donc primordial de trouver un moyen pour maintenir la chaleur extrême générée par ce procédé sur une durée plus longue. Un sacré casse-tête.
D’autres pistes envisagées pour dompter la fusion nucléaire
On peut toutefois se satisfaire des progrès réalisés par les équipes du Lawrence Livermore National Laboratory en juillet dernier, comme le confirment nos confrères du Financial Times.
Les données initiales issues de l’expérience de juillet indiquent que l’énergie produite a été supérieure à 3,5 mégajoules, selon deux personnes au courant de ces chiffres. Cette énergie serait à peu près suffisante pour alimenter un fer à repasser pendant une heure.
US scientists repeat fusion power breakthrough – Financial Times
Par ailleurs, le projet multinational ITER travaille depuis plus de 13 ans sur la fusion nucléaire via le confinement magnétique. Pour faire simple, cela consiste à transformer un gaz en plasma grâce à un courant électrique très puissant généré par un immense réacteur de 23 000 tonnes appelé « tokamak ». L’objectif est d’atteindre une température de plus de 50 millions de degrés Celsius.
Qu’est- ce que le plasma ?
Considéré comme le « 4e état de la matière », le plasma est une forme évoluée du gaz qui se manifeste lorsqu’il atteint une température extrême, désolidarisant ainsi les électrons des atomes.
Mais la principale difficulté réside dans le fait qu’il est très complexe de maintenir le plasma en température au cœur du réacteur sans qu’il atteigne ses parois. Et pour l’heure, la seule solution tient dans l’utilisation d’aimants supraconducteurs de près de 400 tonnes qui forment un champ électromagnétique très gourmand en énergie.
Ce n’est donc pas demain la veille que l’on atteindra le rendement énergétique qui fait rêver les chercheurs : la plupart d’entre eux estiment que ce dispositif ne sera pas opérationnel avant 2050. Il nous tarde désormais de suivre les progrès à venir pour dompter cette technologie prometteuse, d’autant plus que ses potentiels apports sont d’ores et déjà connus des chercheurs.
Pourquoi la fusion nucléaire est-elle si attractive ?
Des investissements en masse
Au cours de l’année 2023, les États-Unis ont investi plus de 600 millions de dollars pour soutenir le programme de confinement inertiel qui a permis d’atteindre le stade d’ignition pour la première fois de l’histoire. Les investissements privés ont eux aussi atteint des sommets : plus de 4,5 milliards de dollars injectés en l’espace de quelques années, avec pour but principal de rendre la technologie opérationnelle et de la commercialiser.
Et pourtant, les bénéfices d’un tel procédé ne seront probablement pas visibles avant une trentaine d’années. Mais alors, comment se fait-il que l’on s’intéresse tant à la fusion nucléaire, surtout à un stade aussi prématuré ?
Comme la fission nucléaire, mais en mieux
Pour le savoir, il suffit de la comparer avec la fission nucléaire qui est aujourd’hui utilisée pour produire de l’électricité. Et les avantages sont nombreux, à commencer par son rendement énergétique qui serait 4 fois plus élevé que le procédé actuel.
De plus, la fusion nucléaire peut se vanter d’être « propre » puisqu’elle ne rejette pas de déchets radioactifs, ni de gaz à effet de serre. Son atout écologique est donc indéniable, surtout au vu du réchauffement climatique qui s’amplifie d’année en année.
On peut également mettre en avant sa faible consommation d’hydrogène, un élément chimique présent en abondance dans les océans, ce qui rendrait sa production quasi-infinie (à condition de pouvoir séparer la molécule H de l’H2O en polluant le moins possible).
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Et enfin, la fusion nucléaire semble – sur le papier – bien plus sûr que la fission grâce à l’arrêt instantané du réacteur en cas d’anomalie. Cela limite ainsi le risque d’explosion ou d’un emballement de la chaîne atomique, plus difficile à maîtriser avec la fission nucléaire actuelle. Mais est-ce vraiment dénué de danger pour autant ?
La fusion nucléaire est-elle fiable, et quels sont les risques ?
Au-delà de la rentabilité sur le plan économique, il faudra avant toute chose s’assurer que la fusion nucléaire puisse être exploitée de manière sécurisée. Et pour cela, il sera primordial de mettre au point un système fiable qui puisse protéger les parois du réacteur en cas d’emballement.
Dans le cas du projet ITER, il repose principalement sur le contrôle de la chaleur générée par le tokamak, que l’on pourra – en théorie – refroidir instantanément. Le 13 septembre dernier, la société Tokamak Energy a d’ailleurs franchi une étape majeure dans le développement de la fusion nucléaire, grâce à une série de tests cryogéniques sur son système magnétique supraconducteur.
Pour faire simple, elle a exposé les bobines de fusion à des températures glaciales avoisinant les -235°C afin de tester leur résistance au froid. Et l’expérience s’est avérée concluante, preuve que le système de refroidissement pourra fonctionner de manière optimale.
« Un système magnétique de ce type n’a jamais été construit auparavant. Nous passons maintenant à l’étape suivante avec une grande confiance dans notre processus de fabrication sur la voie de la fourniture d’une énergie de fusion propre, sûre et abordable dans les années 2030. »
Dr. Rod Bateman (responsable du développement des électro-aimants chez Tokamak) pour Geo
Au final, que faut-il en retenir ?
Les efforts des différentes nations mondiales se poursuivent pour que la fusion nucléaire, et tous les avantages énergétiques qu’elle comporte, devienne opérationnelle le plus tôt possible. Et il y a urgence, car le réchauffement climatique menace de plus en plus la population qui court droit vers le déclin si une solution radicale n’est pas envisagée.
Malgré les belles promesses des premières observations, les chercheurs ont encore fort à faire pour que la fusion nucléaire puisse remplacer la fission de nos centrales actuelles, afin de produire une énergie propre, renouvelable et en adéquation avec les objectifs environnementaux d’aujourd’hui.
Quoi qu’il en soit, on peut toujours compter sur la collaboration de plusieurs pays qui travaillent main dans la main pour accélérer le processus de recherche, à l’image du projet pharaonique ITER. C’est un défi colossal qui nous attend désormais, et qui pourrait potentiellement participer à sauver l’humanité d’une fin tragique.