Le concept de « trou noir » fascine autant qu’il effraie. Mais lorsque l’un d’eux émerge aux yeux du public, c’est souvent l’émerveillement qui prime ! En février 2022, les chercheurs ont en effet entrepris l’observation d’un de ces gouffres stellaires. Et quelle ne fut pas leur stupeur lorsque celui-ci s’est mis à projeter des fragments d’étoiles « digérées » ! Coup de télescope sur ce phénomène rarissime, et les outils technologiques de pointe qui ont permis sa détection.
Si l’on vous parle de trou noir, vous imaginez certainement un immense vortex qui gobe tout sur son passage. Un peu comme un aspirateur, en somme ! Mais la réalité est en fait bien plus complexe, car ces objets célestes ont une part d’ombre encore difficile à déceler.
Heureusement, les progrès de la science ont permis d’élaborer des outils d’observation toujours plus perfectionnés. Peut-être permettront-ils, un jour, de percer le mystère de ces voraces célestes, qui sait ?
Les trous noirs, grands timides de l’univers
Dans l’espace, comme partout ailleurs, il y a des endroits où il vaut mieux ne pas s’aventurer. Quitte à se priver de grandes découvertes. Les trous noirs font évidemment partie de cette catégorie : ils n’ont jamais cessé de fasciner, malgré leur dangerosité.
Il a donc fallu faire preuve d’ingéniosité pour pouvoir observer ces mystérieux vortex de plus près. Un immense défi, tant les obstacles sont nombreux !
M87 : le cliché historique
Dans un premier temps, il faut savoir que plusieurs conditions déterminent notre capacité à pouvoir observer un tel objet céleste. La plus importante concerne probablement l’altitude : il faut être haut perché pour avoir une chance de repérer le fameux trou noir.
C’est donc le massif de la Sierra Nevada que les scientifiques du projet Event Horizon Telescope ont choisi en 2019, pour réaliser un cliché qui deviendra vite historique. Dressé à près de 3 000 mètres d’altitude, ce spot espagnol est idéal pour observer les phénomènes célestes.
Qu’est-ce-que l’Event Horizon Telescope ?
Un immense réseau de télescopes, répartis dans le monde entier. Ils ont pour but de coordonner leurs actions, afin de détecter d’éventuels mouvements en provenance des trous noirs M87 et Sagittarius A.
Ensuite, pour avoir une chance d’entrevoir le trou noir, il a fallu se munir d’un matériel de pointe. Et oui, 55 millions d’années-lumière à parcourir, ce n’est pas rien !
Les chercheurs ont alors utilisé le radiotélescope de l’IRAM (Institut de Radioastronomie Millimétrique), un véritable monstre de 30 mètres de diamètre qui a la particularité d’être « le plus sensible au monde ». Il a ensuite été combiné avec d’autres télescopes, disséminés aux quatre coins du globe, pour atteindre une puissance d’observation équivalente à 10 000 kilomètres de diamètre !
Observer un trou noir est une chose. Mais le photographier en est une autre… Ainsi, les scientifiques ont eu recours à divers outils complexes, tels que des supercalculateurs chargés de simuler le mouvement de cet objet en constante rotation qui déforme l’espace temps. Par ailleurs, ils ont dû synchroniser 8 télescopes au dixième de milliardième de seconde pour être certains d’avoir une image exploitable.
La suite appartient à l’Histoire. Le 10 avril 2019, M87 devient le premier trou noir capturé par l’Homme, entraînant de vives réactions à l’international. Son cliché vient enfin prouver que ces vortex méconnus, dont le mystère persistait depuis plus d’un siècle, sont bien réels. Même Einstein, malgré sa théorie de la relativité, ne croyait pas en leur existence !
Sagittarius A : la confirmation
Mais les équipes de l’Event Horizon Telescope, déjà en charge de la capture de M87, ne se sont pas arrêtées en si bon chemin ! En effet, elles ont réitéré l’exploit trois ans plus tard avec un autre trou noir supermassif : Sagittarius A. Et bien qu’il soit assez proche de notre planète, à « seulement » 27 000 années-lumière, le vortex a donné du fil à retordre aux 300 chercheurs du projet.
La principale difficulté résidait surtout dans la distorsion de l’espace et l’absence de lumière, qui rendent les trous noirs pratiquement indétectables. Il est tout de même possible de deviner leur localisation, grâce aux nuées gazeuses qui forment une sorte « d’anneau de feu » autour d’eux.
Après avoir repéré un disque de gaz semblable à celui de M87, les chercheurs ont donc pu situer Sagittarius A et le photographier. Mais ce qui les a directement frappés, c’est la taille de l’anneau gazeux, bien plus grand qu’en 2019. Une preuve indéniable qu’il s’agissait bien d’un trou noir supermassif.
Malgré ces découvertes, nous sommes encore loin de tout connaître au sujet des trous noirs, comme le dit si bien le chercheur Heino Falcke. « C’est au bord des trous noirs que s’arrêtent nos possibilités de mesure (…) Nous ne savons pas si nous pourrons un jour franchir cette limite », a-t-il déclaré dans son ouvrage Lumière dans l’obscurité.
Néanmoins, l’observation récente d’une « rupture par effet de marée » a montré que l’étude des trous noirs ne se limitait pas aux nuées de gaz qui les entourent.
La rupture par effet de marée, un évènement rarissime enfin observé
Comme nous l’avions précisé, le trou noir agit tel un vortex. Dès qu’un objet s’en approche d’un peu trop près, il est aspiré puis se désintègre en son cœur. En effet, ce tourbillon cosmique est si compact qu’il emprisonne toute forme de matière.
Mais il arrive parfois que quelques fragments parviennent à s’y échapper, sous la forme d’un faisceau lumineux : on appelle cela une rupture par effet de marée. Et c’est justement ce que les scientifiques ont pu observer, cette année, grâce au télescope Zwicky Transient Family de l’observatoire Palomar.
Équipé d’une caméra ultra-performante, cet appareil a pour mission de détecter divers évènements inhabituels dans le ciel étoilé. Un gain de temps énorme pour les chercheurs, car il automatise le travail d’observation en « scannant » les jets stellaires, puis en offrant une synthèse claire des résultats à l’équipe scientifique.
Grâce à l’aide de plusieurs télescopes répartis dans le monde entier, dont le James-Webb et le Noema, les chercheurs californiens sont même parvenus à trouver l’origine de cette étonnante nuée lumineuse. Et il s’avère qu’elle provenait d’un trou noir, à plus de 8 milliards d’années-lumière de la Terre. La détecter relevait donc de l’exploit !
De nombreuses pistes non explorées
Quelques mystères subsistent néanmoins. Comment le jet de fragments a-t-il pu s’extraire du trou noir, alors que l’on sait pertinemment qu’il ne laisse aucune forme de matière s’échapper ? Telle est la question que se posent de nombreux chercheurs à l’heure actuelle.
Dans le même temps, les ruptures par effet de marée sont des phénomènes rarissimes qu’on ne pouvait observer auparavant. Il est donc logique que les connaissances sur leur fonctionnement soient pour l’instant très limitées.
Une chose est sûre, les scientifiques ont fort à faire depuis l’observation de cette rupture par effet de marée. Les premières réponses semblent accompagnées de leur lot de nouvelles questions…
Toutefois, des travaux sont déjà en cours pour multiplier les pistes de réflexion. Le Chili, par exemple, a investi dans la fabrication d’un télescope géant qui serait spécialisé dans la détection de trous noirs.