Élément de la course à la puissance depuis des décennies, l’espace revêt une importance nouvelle. Multiplication des acteurs, élargissement des enjeux économiques mais aussi de nouveaux besoins en communication et connectivité : l’Internet spatial marque un tournant majeur et vient cristalliser de nouvelles rivalités stratégiques.
L’accès universel à un Internet haut débit fiable et de qualité est aujourd’hui d’une importance capitale pour les particuliers, les entreprises ou encore les pouvoirs publics. Une tendance qui s’est intensifiée avec la pandémie de COVID-19, et qui a mis en exergue la nécessité d’un réseau efficace pour continuer à travailler, étudier ou encore rester en contact avec ses proches.
Pourtant l’infrastructure actuelle d’internet est loin d’atteindre les «déserts numériques». Grâce à l’évolution des technologies, la connectivité par satellite peut désormais apporter une solution fiable, accessible et peu onéreuse afin de pallier au manque d’infrastructures terrestres.
Dans un même temps, alors que la course à l’Internet spatial s’intensifie, la communauté internationale s’interroger sur une gouvernance collective afin de préserver les intérêts stratégiques de chaque État ainsi que les droits fondamentaux de ses concitoyens. Le spatial va donc jouer un rôle déterminant dans les enjeux stratégiques qui s’imposent au Monde.
Qu’est-ce que l’Internet spatial ? Comment ça marche ?
L’internet que vous utilisez actuellement passe par des millions de kilomètres de câbles sous terre ou au fond des océans. Ces câbles assurent 95% du trafic mondial. Mais le déploiement de ce réseau est coûteux et complexe.
Avec le spatial justement, il n’y a plus de câbles à déployer, ils sont remplacés par des constellations composées de dizaines de milliers de petits satellites en orbite basse. Par exemple, lorsque le client lance une requête sur un moteur de recherche, l’ordinateur transmet d’abord l’information au modem, relié à une parabole fixée sur le toit ou une façade du logement. Elle permet de transmettre le signal à un satellite géostationnaire en orbite à 36 000 kilomètres au-dessus de la Terre. Le résultat de la requête de l’utilisateur est ensuite retransmis au satellite, qui le bascule vers la parabole du client. Le signal est donc assujetti à un double aller-retour entre la Terre et l’espace et traverse une latence incompressible de 144 000 kilomètres.
Quels sont les acteurs de cette concurrence féroce ?
L’accès à l’espace impose un coût d’entrée important, et ce dernier a contribué à restreindre le nombre des États spatiaux, lesquels ont longtemps formé un club très réduit. Ce marché de la connectivité, en plein essor, a été estimé à 16 milliards de dollars d’ici à 2030 par le géant européen Eutelsat, dans un récent communiqué.
On retrouve bien évidemment des acteurs historiques comme ViaSat aux États-Unis – qui vient de racheter le britannique Inmarsat -, tandis qu’en Europe, SES, Eutelsat avec Konnect ou encore la filiale d’Orange Nordnet recourent à la puissance du satellite pour offrir du haut débit à leurs clients.
Mais cette course à l’espace a aussi été marquée par le développement de nouvelles technologies et avec elles, l’émergence de nouveaux acteurs privés à l’image d’Elon Musk qui a déjà déployé plus de la moitié des 4.400 satellites de sa constellation Starlink ou encore Jeff Bezos, le fondateur d’Amazon qui prévoit mettre en orbite plus de 3 200 satellites pour sa constellation Kuiper. Lesquels ont déjà pris une bonne longueur d’avance ? En effet, leurs satellites plus petits et moins chers, fonctionnent en orbite terrestre basse (OTB) autour de la Terre, soit à quelques centaines de kilomètres d’altitude, de quoi permettre des communications à faible latence et donc plus rapides.
La Chine quant à elle prévoit en outre de déployer pas moins de 13.000 satellites « Guowang », tandis que l’Union européenne souhaite disposer de sa propre constellation d’environ 250 satellites à partir de 2024 au nom de la souveraineté. L’Europe veut ainsi se “donner les capacités de réagir de manière autonome aux menaces” et de maintenir le réseau européen en cas “de crash des infrastructures terrestres”, qu’il s’agisse d’une cyberattaque ou d’une coupure des réseaux sous-marins. L’Internet spatial européen coûtera environ 6 milliards d’euros financés à un tiers par la Commission européenne, un tiers par le secteur privé et un tiers par les états membres de l’UE.
Des enjeux cruciaux pour la connectivité satellite
Ces évolutions attestent d’un regain d’intérêt pour le domaine spatial au niveau mondial. Celui-ci est marqué par trois tendances majeures : une augmentation du nombre des acteurs, une hybridation croissante entre États et acteurs privés, et enfin une diversification des finalités poursuivies par ces divers acteurs.
Ces dynamiques nouvelles s’articulent autour d’enjeux stratégiques liés à l’espace, et donnent naissance à des problématiques économiques, de connectivité mais aussi de souveraineté des données et de régulation de celles-ci.
L’autonomie de l’accès à l’espace est un enjeu plus que jamais stratégique pour les États. La domination de cet espace est un avantage capital pour celui qui l’atteindra. Cette guerre implique désormais une compétition acharnée au sein de laquelle de nouveaux acteurs se mêlent aux anciens. Le poids de ce secteur dans le système économique mondial a décuplé et continue de croître. Des secteurs aussi stratégiques que les télécommunications, la cartographie et l’aide à la navigation, mais aussi l’observation météorologique et la surveillance des catastrophes naturelles, dépendent des satellites.
Ces derniers remplissent de plus en plus de fonctions, et de manière de plus en plus précise. Véritables pierres angulaires des pays développés pour maintenir leur puissance économique, ils sont également devenus de véritables leviers de développement pour les États. C’est pourquoi les États cherchent à se doter de leurs propres satellites, tandis que ceux qui en possèdent continuent à en mettre en orbite de nouveaux, plus performants. À travers la transition numérique et la révolution de la connectivité, la maîtrise des flux d’information constitue elle aussi un enjeu de souveraineté : l’espace doit rester un environnement pacifique, sûr, stable, préservé et durable, pour le bienfait de tous.
Une déclaration pour l’avenir d’Internet
Internet c’est aussi de sérieux défis politiques. Face à la montée de l’autoritarisme numérique, certains États agissent pour réprimer la liberté d’expression, censurer les sites d’information indépendants, interférer dans les élections, promouvoir la désinformation et priver leurs citoyens d’autres droits fondamentaux. C’est pour répondre à ces problèmes les États-Unis et 60 partenaires du monde entier (dont la France) ont lancé la déclaration pour le futur de l’internet. Visant à protéger entre autres les libertés fondamentales de tous les individus et promouvoir un internet mondial et abordable qui favorise la libre circulation de l’information. Mais sans surprise la Chine, la Russie, l’Inde et le Brésil sont les grands absents de l’accord.
L’Internet spatial : une solution efficace pour l’avenir ?
L’Internet spatial offre de nombreux avantages et permet d’apporter le web dans des zones blanches qui ne peuvent pas être desservies par les réseaux au sol ou même les antennes 5G ou bientôt 6G. En revanche, avec les moyens actuels, et du fait de l’éloignement des orbites géostationnaires, l’Internet satellitaire ne permet pas d’atteindre les performances de la fibre. Celui-ci est encore fortement impacté par le délai entre la commande et l’exécution de la requête.
C’est pourquoi des entreprises privées travaillent sur des satellites plus petits et moins chers que les traditionnels satellites de télécommunication permettant un délai de transmission plus rapide mais aussi un abonnement moins coûteux pour les futurs consommateurs.
La situation ne risque pas d’aller en s’améliorant car, toujours dans cette course au haut débit (premier arrivé premier servi), la région des orbitres terrestres basses, déjà utilisées par les satellites de télédétection, de télécommunications, etc., va clairement être embouteillée. Ce qui implique l’augmentation de collisions spatiales et donc la multiplication des débris. Si aucune solution n’est trouvée à l’avenir, les orbites basses pourraient bientôt devenir inutilisables. La question n’est plus de savoir si l’espace sera l’avenir d’Internet mais comment ferons-nous pour préserver ce nouvel Eldorado, berceau des télécommunications ?