L’innovation est sûrement l’un des concepts les plus galvaudés de notre époque. Le terme, pourtant lourd de sens et d’implication, est désormais l’argument marketing massue de nombreuses marques et entreprises. Dans un monde en constante mutation, il est important de se rappeler ce qu’est vraiment l’innovation !
Mais si l’innovation peut-être technologique (et elle l’est souvent), elle est aussi sociale, politique ou même créative. Tous les domaines sont touchés par l’innovation, qui devient alors un moteur de croissance, mais aussi une méthode de résolution de problèmes auxquels font face les utilisateurs du monde entier et plus globalement, la société.
L’innovation justifie à elle seule l’arrivée massive de milliers de nouveaux produits chaque mois sur de nombreux marchés, et notamment celui de la high tech.
Quel est le but de l’innovation ?
Définition théorique de l’innovation
Avant toute chose, il est crucial de se mettre d’accord sur une définition commune de l’innovation. Bonne nouvelle : le concept est si fondamental que cette définition existe et se trouve être la même pour les différentes instances de recherche comme l’INSEE ou l’OCDE. Dans ce dossier, nous nous référerons à celle du Manuel d’OSLO de l’OCDE, qui fait autorité sur le sujet :
« La mise en œuvre d’un produit (bien ou service) ou d’un procédé nouveau ou sensiblement amélioré, d’une nouvelle méthode de commercialisation ou d’une nouvelle méthode organisationnelle dans les pratiques de l’entreprise, l’organisation du travail ou les relations extérieures. »
Définition du Manuel d’OSLO
On distingue alors 4 grandes catégories d’innovation, ou plutôt domaines d’innovation :
L’innovation de produits
On parle d’innovation de produits quand ils subissent des changements significatifs dans leur conception, et ce afin d’en améliorer leur utilisation. Ici, les seuls changements esthétiques ne sont pas considérés comme innovation.
L’innovation de procédés
On prend de la hauteur et on parle ici de changement et d’améliorations dans les différents procédés (process) de développement, production et distribution de ces produits et services.
L’innovation de commercialisation
Comme son nom l’indique, il s’agit d’une innovation dans les méthodes de commercialisation d’un produit ou d’un service : conditionnement, promotion ou encore tarification.
L’innovation d’organisation
Enfin, il s’agit ici de la mise en place de nouvelles méthodes d’organisation sur le lieu de travail et des relations entre employeurs et employés.
Pourquoi innover ? Les experts nous répondent
Bien sûr, si cette base théorique existe, de nombreuses déclinaisons de cette définition ont vu le jour, de la part d’experts, consultants, chercheurs et auteurs en tout genre. Nous avons donc demandé à des professionnels de nous donner leur propre définition de l’innovation.
Pour Mathieu Flaig, Directeur Stratégie RH & Transformation Numérique et conférencier, « l’innovation est d’abord une culture. Me concernant, je dirais que c’est « Vivre un pied dans le présent, et un pied dans le futur ».
Tout aussi succinctement, le livre référence The Little Black Book of Innovation définit l’innovation comme « Quelque chose de différent qui a un impact ». L’auteur Scott D. Anthony développe cette définition en mettant en garde contre trois idées fausses sur l’innovation et ce qu’elle implique :
L’innovation n’est pas la même chose que la créativité
Pour innover, il ne faut pas seulement être créatif et imaginer de nouvelles idées. Il faut que cette idée réponde à une problématique concrète ou une opportunité tangible. Être créatif est essentiel, mais si ces idées n’ont aucun impact sur le statu quo, alors elles ne restent qu’au stade d’idée
L’innovation n’est pas réservée aux seuls experts en innovation
Le fantasme de l’innovation veut qu’elle émerge des seuls groupes d’études, chercheurs et autres experts qui changent le monde. Mais l’innovation vient aussi de tous les membres d’une organisation, notamment pour les fameuses innovations de procédés dont nous parlions précédemment.
L’innovation n’est pas l’affaire que d’énormes changements
L’innovation a souvent été surestimée comme étant l’affaire des grands coups, de bouleversements dans l’ordre établi. Or, et comme nous le verrons dans le reste de ce dossier, l’innovation survient à toutes les échelles.
Innovation vs révolution : le grand amalgame
Les mots sont importants, car ils portent avec eux des concepts parfois radicalement différents. Leur mauvaise utilisation entraine la démocratisation d’amalgames néfastes à un discours cohérent sur une discipline aussi universelle que l’innovation.
Ici, l’innovation est bien trop souvent confondue avec révolution, alors que les deux concepts, si connexes, n’ont pas la même implication et surtout le même impact sur le monde.
Innovation | Révolution |
Un changement significatif, une amélioration de l’existant | Un bouleversement, une rupture de paradigme. |
L’entrepreneur Jeff Stibel distingue sur le Harvard Business Review deux types d’innovateurs : les innovateurs linéaires et non linéaires.
« Les innovateurs peuvent être linéaires ou non-linéaire. Les innovateurs linéaires tendent à être évolutionnaires, en apportant des améliorations incrémentales, alors que les innovateurs non linéaires tendent à être révolutionnaires. »
Jeff Stibel, Harvard Business Review
Autrement dit, toute innovation n’est pas systématiquement une révolution, mais toute révolution résulte forcément d’une innovation. Cela dépendra grandement du type d’innovation dont on parle.
Quels sont les différents types d’innovation ?
Maintenant que nous avons défini ce qu’est une innovation au sens large, il s’agit de préciser cette définition pour en concrétiser ses implications. Comme nous l’avons vu, une innovation peut être à différentes échelles, mais aussi objectifs, l’important réside dans le fait qu’elle ait de l’impact dans son domaine et plus précisément, son marché.
Nous allons donc distinguer les 4 grands types d’innovation avec cette fois-ci des exemples à la clé :
Innovation incrémentale
L’innovation incrémentale est la plus répandue car la moins coûteuse : 98 % des innovations présentes sur le marché sont incrémentales. On parle aussi d’innovation continue, qui consiste à améliorer un produit ou un service graduellement et surtout, constamment. Il s’agit ici de satisfaire le consommateur en lui proposer de nouvelles fonctionnalités qui ne changent pas radicalement ses usages.
Ici, l’exemple le plus frappant concerne le marché des smartphones. Des dizaines de nouveaux modèles font leur entrée sur le marché chaque année, chacun avec des innovations incrémentales : déverrouillage biométrique, capteurs photo améliorés, optimisation de performances et bien d’autres. Ce sont ces changements que nous mettons le plus en avant sur Meilleure-Innovation, car beaucoup plus fréquents.
Innovation adjacente
On parle d’innovation adjacente quand une entreprise exporte un produit ou un service vers un nouveau marché dans le but de lui donner une nouvelle vie. On distingue ici deux sous-catégories d’innovation adjacente :
L’innovation adjacente de produit
On parle ici d’intégrer un produit ou procédé d’un autre marché tout en restant dans le même marché.
Exemple : Dyson qui, en 1983, s’inspire du système d’extraction d’une scierie afin d’éliminer les particules de l’air grâce à la force centrifuge. C’est de cette technologie qu’émergeront les produits phares de la marque, les aspirateurs sans sacs Dyson.
L’innovation adjacente de marché
L’innovation adjacente de marché consiste à faire émerger un nouveau marché en appliquant un nouvel usage à un produit déjà existant.
Exemple : l’application Uber qui, en en lançant son application, entraine la création d’un nouveau marché sur la base de celui des taxis, le marché des VTC.
Innovation de rupture
L’objectif d’une innovation de rupture est de lancer un nouveau produit ou service à l’utilisation plus confortable et au prix très concurrentiel afin de faire entrer le marché dans un nouveau paradigme.
Ici, l’exemple le plus frappant est Free, qui par deux fois à disrupté le marché de l’ADSL en proposant un accès illimité à 29,99 € par mois en 2002, mais aussi celui du mobile avec son offre free mobile, elle aussi illimitée, qui a fait baisser la moyenne du marché de 30 %.
Innovation radicale
Les innovations radicales sont celles qui ont le plus d’impact sur la démocratisation de technologies nouvelles et la création de nouveaux usages. Ces produits ne répondent pas aux besoins du marché, mais veulent au contraire créer ce besoin et donc, cette demande. Il s’agit ici de l’innovation la plus risquée, mais la plus fructueuse. Ces innovations supplantent généralement un modèle économique existant en instaurant de nouvelles règles qui seront suivies par toute une industrie.
Ici, on peut citer l’essor du streaming vidéo à la demande impulsé par Netflix, et ses conséquences sur la location de DVD en magasin, ou encore le développement du e-commerce sur Amazon, qui instaure de nouveaux usages et force les magasins traditionnels à changer leur modèle.
Pour Mathieu Flaig, ces innovations changent le monde « comme l’iPhone en 2007. Son impact se retrouve partout : communication interpersonnelle, modes de travail, marketing… et il a permis la naissance de nouveaux business-models ».
Qu’est-ce que l’innovation au 21eme siècle ?
Comme nous l’indiquions dans l’introduction, l’innovation est désormais un terme tant utilisé que son sens en vient à être galvaudé ou mal compris. De plus, le concept d’innovation vient lui aussi à évoluer selon l’époque et les différents paradigmes qui se succèdent.
Ainsi, aux périodes des révolutions industrielles, les innovations qui se succédèrent furent à la fois technologiques, financières et organisationnelles. L’Histoire amenant sa succession de conflits et de ruptures, l’innovation peut être aussi sociale, politique ou économique. Bref, tant d’épithètes qui peuvent ainsi changer selon le zeitgeist d’une société.
Mais pour certains, la constante recherche d’innovation peut se révéler éreintante. Pour Mathieu Flaig, la perspective a changé : “Quand j’étais adolescent, j’entendais souvent l’expression « On n’arrête pas le progrès ». Si l’expression est restée, elle est aujourd’hui plus décriée qu’hier, alors que beaucoup prônent la décroissance : “ceux qui disaient ça seraient sûrement épuisés du rythme d’innovation que l’on connaît actuellement”.
Un changement de point s’opère aussi sur l’innovation, qui devient plus stratégique et concrète : “pendant longtemps, les départements innovation étaient perçus comme des structures où l’on faisait joujou, avec un impact pas toujours évident sur le cœur de l’activité de l’entreprise ». Désormais, les mentalités ont changé, notamment grâce à “l’accélération du marché des startups, l’augmentation faramineuse des budgets de Recherche et Développement des géants du numérique”. Enfin, et bien plus qu’auparavant, l’innovation se doit en 2022 “d’avoir un impact positif, responsable et éthique”.
Une innovation de produit est-elle forcément synonyme d’innovation technologique ?
On appose bien souvent l’adjectif “technologique” au terme d’innovation. Surtout quand cette innovation concerne un produit. Mais comme nous l’avons vu, le concept revêt bien des visages. Ainsi, tout produit innovant peut l’être à plusieurs échelles : dans sa commercialisation, sa distribution, ses services associés ou même son modèle économique.
Mais il est vrai que dans le cadre d’innovation incrémentale, ces dernières sont bien souvent technologiques. L’objectif d’un produit innovant n’est pas de systématiquement bouleverser les usages, mais de les améliorer. Un produit n’a donc pas besoin d’une innovation technologique pour être innovant dans son marché et c’est bien là l’un des pièges de l’innovation.
Quels sont les pièges de l’innovation ?
L’innovation fait rêver, l’innovation fait vendre et c’est tout là l’un de ses dangers. L’appât du gain et du progrès peut faire tomber professionnels et grand public dans de nombreux pièges liés à l’innovation.
Pour Mathieu Flaig, l’un de ces pièges est “l’attrait du buzz pour les entreprises” en citant des exemples récents comme les chatbots, l’intelligence artificielle, le Metaverse. Le FOMO (Fear of missing out, la peur de louper le train en marche) touche aussi ces entreprises qui “se lancent tête baissée sur ces sujets par peur de paraître dépassées”.
L’autre danger réside dans l’avant-gardisme intrinquèque à l’innovation. Conséquence d’un marché hyper concurrentiel nourri à la course à l’innovation : le cycle de production est de plus en plus court entre les différentes versions d’un produit. Si être le premier reste un argument marketing massue, c’est en réalité une stratégie à double tranchant, car l’attractivité d’une innovation peut cacher de nombreuses failles de jeunesse. Ainsi, certaines de limitations d’une innovation ne sont constatées qu’une fois le produit ou service entre les mains de millions d’utilisateurs. C’est évidemment tout l’enjeu des phases de test et contrôle qualité qui essaieront d’émuler au mieux l’utilisation finale.
Résultat, « le client est devenu un cobaye malgré lui » assure Elena Debbaut dans les lignes de son blog sur le site Les Temps. On pense notamment à Google, qui depuis 2015 s’est lancé dans le marché des smartphones et souffre encore des lancements turbulents pour ses nouveaux Google Pixel, notamment avec la conception de ses propres puces depuis 2021. On peut également citer Microsoft qui, après avoir essuyé ses propres plâtres, a totalement assumé cette stratégie d’ »utilisateurs cobayes » avec son programme Windows Insider.
L’émergence de nouvelles technologies se heurte au début à certaines failles techniques inhérentes à leurs utilisations de masse, mais aussi à certains freins juridiques. On pense notamment au marché de la trottinette électrique qui a forcé les municipalités à repenser la mobilité urbaine, en instaurant en réaction des règlementations pour faire cohabiter piétons et utilisateurs sur roues (vitesse, parking, zones de circulation). L’un des dangers de l’innovation est qu’elle est bien souvent un arbre qui cache la forêt, une promesse aux implications bien plus vastes que prévu pour l’utilisateur et la société dans son ensemble.
Il faut donc travailler sa méthodologie d’innovation ou plus précisément son management d’innovation : « Quels sont mes objectifs ? Quelle est ma stratégie ? Quels sont mes moyens (financiers, humain) ? Quelle est la temporalité de ce que je veux mettre en place ? »
L’innovation est donc un travail de longue haleine, fait à la fois de petites avancées et de percées fulgurantes. Les plus discrètes pavent ainsi la voie aux plus impactantes, celles qui bouleversent nos usages et la société dans son ensemble. La meilleure innovation n’est pas celle qui fait le plus de bruit, mais celle qui change nos vies.
Crédit(s) : © Photo de une : Patrick T.Fallon/Reuters