À l’annonce de la plateforme Snapdragon G3x Gen 1 dédiée aux consoles sous Android, certains observateurs ont été étonnés de l’ambition de Qualcomm. Mais faisons le point : les consoles Android sont non seulement déjà là, mais sont faites pour durer.
On a tendance à l’oublier de nos jours, mais le jeu vidéo était à la base considéré comme un petit frère de la high tech. Comment l’établir ? Simplement en se rappelant que c’était au CES que les dernières consoles comme la Saturn ou la Nintendo 64 étaient présentées. Seulement, ce pan du marché a tellement grandi et gagné en popularité qu’il est devenu son propre monstre, à l’image de l’E3 qui s’est séparé du carcan tech pour créer un show uniquement dédié aux jeux vidéo.
Le Snapdragon G3x Gen 1, dédié aux consoles Android
On comprend donc que lorsque Qualcomm a décidé de présenter son nouveau SoC Snapdragon G3x Gen 1 aux côtés de son Snapdragon 8 Gen 1 dédié aux smartphones, le public a été quelque peu confus. Comment ça, un SoC dédié à des consoles portables sous Android ? Mais le smartphone n’est-il pas déjà considéré comme une sorte de console portable ? Quel est l’intérêt donc d’avoir une console sous Android ? Avant même de répondre à ces questions, replongeons-nous dans les caractéristiques du Snapdragon G3x Gen 1.
Commençons par la pure forme : Qualcomm désigne cette nouvelle architecture comme une « Gaming platform ». Il n’y a pas de doute dans le marketing de la forme : ces puces seront utilisées pour le jeu et uniquement le jeu. Cependant, nous ne savons pas grand-chose de celles-ci, si ce n’est qu’elles supporteront la 5G, une définition 4K à 60 FPS avec une image en HDR 10 bits, et qu’elle profitera de cœurs Adreno puissants tels qu’on les connaît déjà sur smartphone.
Ce qui aiguille un peu plus la pensée derrière ces SoC est la présentation de son prototype. Qualcomm s’est en effet allié avec Razer pour créer un premier produit qui profite d’un SoC Snapdragon G3x Gen 1, et il s’agit directement d’une console de jeu portable. En soi, elle n’est pas si remarquable, et rappellera à certains la manette mobile Razer Kishi puisqu’elle semble disposer des mêmes boutons. Mais sa présentation est marquante : elle prouve que des produits et des méthodes de consommation aujourd’hui de niche vont devenir massivement adoptés par le grand public, et que Qualcomm veut sa part du gâteau.
Retroid, Anbernic, GPD : les consoles Android sont déjà là
Car oui, l’alliance Razer/Qualcomm n’est pas si originale que ça. A dire vrai, le concept de consoles tournant sous Android est loin d’être novateur. Vous le savez certainement, Android sans les services Google est un système d’exploitation libre de droit, que chacun peut utiliser comme il le souhaite. C’est ainsi qu’Amazon a par exemple créé son FireOS pour ses tablettes. De nombreux constructeurs chinois ont profité de cette particularité au fil des ans pour créer de nombreux produits, et tester la réactivité du marché à ceux-ci. Une catégorie est très vite sortie du lot : celle des consoles portables, justement.
Plus que de parler ici d’une console qui utiliserait le Play Store pour trouver ses jeux, c’est du côté du retrogaming que le concept a fait des émules. Depuis plusieurs années maintenant, des marques comme Retroid, Anbernic ou encore GPD fleurissent sur le marché. Certaines par le biais de projets en crowdfunding, d’autres d’investisseurs trouvés çà et là, mais une chose est sûre : elles ne font que grandir. Et leurs produits avec elles, du même temps.
La concurrence sur 2021 a été rude pour ces constructeurs qui créent coup sur coup de nouvelles consoles portables dédiées à l’émulation, et passent toutes petit à petit d’un système Linux à un système Android. Anbernic est vu comme le constructeur le plus digne de confiance, GPD comme l’excentrique qui tente un peu tout, et Retroid comme le concurrent au meilleur rapport qualité/prix. Une chose est sûre : pour chacun d’entre eux, toutes les précommandes partent à une vitesse folle. Et de nouveaux concurrents, comme la future Odin d’Ayn, fleurissent absolument partout pour réussir à conquérir ce marché. Qualcomm ne cherche pas à créer une nouvelle catégorie de produits avec ses Snapdragon G3x Gen 1, il cherche à surfer sur cette vague de niche pour atteindre le grand public.
Les jeux et services sont déjà là
On n’attire cependant pas ce dernier avec des émulateurs souvent difficiles à configurer et des ROMs qui naviguent toujours dans une zone très grise de la loi copie privée. Alors comment faire de ce marché de niche un marché vraiment grand public ? Les développeurs ont déjà lancé l’assaut, avec en fer de lance Epic Games. La sortie d’un Fortnite sur iOS et Android avec lequel il est possible de jouer en cross-platform avec ses amis sur console et PC fut le premier signal de la révolution qu’apporte le cross-play. Nous n’en sommes qu’à la genèse, mais le succès foudroyant de Genshin Impact et de Brawlhalla sur l’année 2021 le prouve : les joueurs Android sont tout aussi pertinents et prêts à claquer des heures de leur vie dans un jeu que n’importe quel autre type de joueur, pour peu que le contenu soit là.
C’est en faisant le même constat que Microsoft a étendu son programme Xbox Game Pass à travers toutes les catégories de consoles possibles. Grâce au cloud gaming fourni par l’abonnement Game Pass Ultimate, les joueurs mobiles sont devenus des joueurs hardcore qui peuvent passer des heures sur le multi de Halo Infinite et ainsi faire progresser le portefeuille de l’éditeur. Xbox croit d’ailleurs tellement dur comme fer à cela qu’il multiplie les acquisitions : après Bethesda, au tour d’Activision-Blizzard de se faire racheter par le géant du jeu vidéo. Avec un seul but : récupérer des exclusivités pour son service, en laissant de côté le duel des consoles elles-mêmes.
Sony le sait, et s’y prépare lui aussi. Si le PlayStation Now n’est pas le service le plus innovant ni le plus parlant aujourd’hui, l’éditeur japonais prévoit de le fusionner avec le PlayStation Plus pour fournir un service aussi puissant que le Game Pass. Nous attendons toujours de voir ce que donnera ce « projet Spartacus » pour l’instant uniquement apparu dans des fuites, mais il est plus que probable qu’il fasse le même pari que son concurrent. Même un acteur comme Netflix voit le vent tourner et intègre désormais des jeux à son catalogue.
Au tour des consommateurs de s’y mettre
Si un acteur aussi traditionnel que Netflix s’y met, c’est parce que le grand public est à portée de main. On l’a vu grâce à la pénurie de composants : le service GeForce Now a explosé en popularité pour pouvoir profiter des dernières cartes graphiques Nvidia même lorsque celles-ci n’étaient pas disponibles. Le cloud gaming est passé de l’affaire d’une niche à l’affaire des early adopters. La prochaine étape est donc le grand public, et cela passera par le déploiement de la 5G qui permettra de profiter de ces services absolument partout. Ce n’est donc pas pour rien si la compatibilité avec la dernière version du réseau mobile est affichée fièrement par le Snapdragon G3x Gen 1 dès son annonce.
Cependant, le grand public ne veut la plupart du temps pas jouer sur son smartphone pour une raison précise : l’autonomie. Nous avons tous peur de ne pas finir notre journée, nous sommes tous à la recherche d’un chargeur à un moment ou un autre, et nous avons tous une batterie externe pour être sûr de ne pas être à court de jus dans les moments importants. Aussi, simplement affubler une manette à un smartphone ne répond pas tout à fait aux exigences du grand public. Par contre, une console Android dédiée a les moyens de convaincre, surtout couplée aux services de plus en plus présents sur le marché, les jeux natifs toujours plus optimisés pour le mobile, et ses capacités d’émulation en cerise sur le gâteau.
L’écosystème Android est tout simplement le mieux placé pour surfer sur la vague d’ouverture du marché du jeu vidéo aujourd’hui. Il peut après tout nous fournir une console au potentiel de transformation égal à une Nintendo Switch, mais capable de profiter de nombreux services (Xbox, PlayStation, GeForce Now, Stadia, Shadow… et pourquoi pas Nintendo si le développeur s’y met un jour), de nombreux jeux populaires disponibles nativement sur le Play Store (Stardew Valley, Fortnite, Brawlhalla) et de l’émulation. Ce sans compter sur toutes les autres applications de divertissement disponibles sur la plateforme. Et pourquoi pas également un lien avec Android TV et un potentiel large écosystème centré autour du jeu, développé par Google pour maximiser le potentiel du produit.
Il peut être difficile de l’imaginer aujourd’hui, mais les consoles de jeux vidéo tournant sous Android seront très certainement légions dans les années à venir. Et il y a fort à parier que lorsque celles-ci seront disponibles auprès du grand public, vous soyez les premiers à foncer dessus pour profiter de leurs capacités. C’est en tout cas la direction dans laquelle va sans l’ombre d’un doute le marché, mais aussi les nouveaux consommateurs aux habitudes bien différentes des générations précédentes.